Le 4 septembre dernier à 6h du matin, Olivier Houillot et moi décidions de nous lancer dans une aventure unique : l'ouverture du bas, "perceuse entre les dents" d'une voie d'escalade moderne dans le massif de la Vanoise. Le lendemain vers 18h nous débouchions, épuisés mais heureux, au sommet de notre nouvelle création : "Christophe Colombe" !
Voici le récit de 120 mètres d'ascension entre fou-rire et crise d'angoisse, à rêver les yeux ouverts cet itinéraire de rocher ocre qui saluerait peut-être nos espoirs et nos peurs. Moments simples d'amitié partagée, de fatigue et de joie dans un cadre indescriptible ou le sens de la vie nous revient comme une intime évidence...
Et pour les passionnés de haute montagne, quelques détails sur ce projet :-)
1) Comment avoir l'idée de se lancer dans l'ouverture d'une paroi rocheuse... vierge ?
Mes amis le savent bien, je suis un passionné d'escalade et de haute montagne, sports que je pratique depuis que j'ai 12 ans. Comme tous les alpinistes en herbe, j'ai grandi nourri des récits des "grandes premières", ces ouvertures rendues mythiques par la littérature de montagne, et j'ai toujours rêvé de gravir le premier un sommet ou un itinéraire inconnu, vierge de toutes traces...
J'ai eu la chance de rencontrer très jeune Olivier, guide de haute montagne mais surtout fin grimpeur, et de "répéter" ses voies ouvertes près de Courchevel, répéter signifiant faire partie des premiers (parfois être le premier :-) à "refaire" une voie à peine "ouverte" par leurs auteurs.
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"Répétition" de Et si on l'faisait ? avec Marco et Javi, en juillet 2006. En plein passage clé de L2, en 6a+ |
En 2005, je participais à ma première ouverture, une voie magnifique de 180m (en toute objectivité bien sûr :-) débouchant sur une antécime encore vierge de l'Aiguille de Fruit : la Pointe Emilienne. Poussé par Olivier je posais tous les points de la première longueur (L1) et le premier tiers de la seconde longueur (L2). Un vrai baptême du feu ! Cette voie s'appelle "Et si on l'faisait" et vient tout juste d'être décrite dans le guide "Alpinisme en Vanoise", co-écrit par un ami Yannick Prebay :-)
L'été suivant, je montais une expédition d'alpinisme d'exploration dans les montagnes du Tien Shan au Kirghizstan, au cours de laquelle nous débouchions Alban Wyniecki et moi sur un glacier inexploré : le glacier Nalivkin. Du pur bonheur, pour beaucoup de raisons...
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Méditation solitaire au pied du glacier inexploré Nalivkin, Tien Shan, Kirghizstan |
Depuis 2006 j'ai passé beaucoup de temps à faire HEC-Entrepreneurs et à monter mon entreprise... Moins de sport, moins de temps. Sentiment d'être coupé à Paris d'un univers minéral qui fait partie de moi... mais qui au fil du temps s'éloigne et me fait peur...
En 2008 je fais le tour de l'Aiguille de la Vanoise à ski de randonnée (toujours avec Alban :-) et passe à la descente au pied de cette paroi rocheuse magnifique. Je regarde, j'adore, je boucle la course et j'oublie. Cet été je refais la même ballade en rando, avec une bande de copains pas grimpeurs pour un sous ! Nous nous arrêtons sous ce bastion rocheux... ma femme prend une photo et la met sur Facebook...
Le lundi qui suit, Olivier me harponne sur-excité sur le tchat de Facebook
- "Arturo, ça passe dans la dalle grise, j'en suis sûr !"
- "Mais de quoi tu me parles là ?"
- "La photo de Colombe, ya un truc de fou à ouvrir dans cette paroi je te dis !"
Et nous voilà partis...
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Olivier lors de la préparation au Parking... ya du matos ! |
2) Mais si c'est vierge, comment on sait où aller ?
Ben on sait pas... et c'est ça qui est super ! :-)
Toute la poésie de l'ouverture consiste à "lire" un itinéraire probable du bas, à bien réfléchir à la stratégie pour passer les principaux obstacles naturels dressés par le rocher, et à s'engager en paroi. Après, c'est mètre après mètre, prise après prise, bagarre après bagarre :-)
Il y a bien sûr quelques grandes règles : chercher et utiliser au maximum les "faiblesses" du rocher, les fissures par exemples, ou les dalles moins raides. Contourner les endroits déversants, identifier les spots pour installer des relais "confortables", sur une vire à plat (parfois dans l'herbe !?!), où l'on pourra enlever ses chaussons, et respirer un peu.
Et puis surtout, il faut prendre son temps. Ne pas hésiter à redescendre boire un coup, reprendre des forces, rigoler un moment en cassant la croûte, et échanger avec son compagnon de cordée qui a souvent une vision un peu différente de la situation...
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Je mets le premier point de L5, la dernière longueur de "Christophe Colombe". Ca fait peur ! |
3) Que fait-on une fois en bas pour annoncer l'ouverture de la voie ?
On en parle sur son blog ? :-)
Non sans rire, d'abord on fait un topo, c'est à dire un descriptif précis de la voie, avec l'emplacement des relais (R1, R2 etc.), l'itinéraire suivi par les points d'assurances laissés dans le rocher (les "golos" donc), et les cotations de chaque longueur. Le topo de notre voie, c'est la première photo de ce post.
Après, on en parle autour de soi, au bureau des guides notamment, et à ses copains grimpeurs qui connaissent bien le coin. L'idée, c'est surtout de donner envie aux gens d'y aller, de voir ce que ça donne, et de prendre du plaisir.
Olivier est un "sérial équipeur" du coin, il est connu comme le loup blanc. Je ne me fais pas trop d'inquiétudes sur la diffusion du message...
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Olivier au beau milieu de son chef d'oeuvre. L1, quasiment une journée de travail pour ouvrir ce 6c/7a ! |
4) Et après ?
Après on continue à rêver... La première longueur est vraiment dure, j'ai eu du mal à la passer en second le deuxième jour... Olivier pense que c'est un bon 7a, très long et continu (40m environ), 6c obligatoire si on "triche" en tirant un peu sur les golos pour s'aider. Donc si on veut que nos copains aient envie de venir y faire un tour, il va falloir y retourner.. pour ouvrir une variante plus facile à cette première longueur.
En fait, notre projet est d'ouvrir deux longueurs "évidentes" dans le dièdre puis la dalle couchée à gauche de la première longueur. Puis une nouvelle longueur en traversée ascendante dans la dalle entre R2 et R4 (pour éviter notre passage dans l'herbe, choisi pour aller plus vite et sortir avant la nuit !). Forte de ces 3 nouvelles longueurs, je pense que "Christophe Colombe" peut devenir une vraie référence du secteur, 5 longueurs d'anthologie sur un rocher exceptionnel dans le V+/6a. De quoi faire rêver pas mal de grimpeurs de niveau "normal" ! :-)
Olivier quant à lui n'a qu'une idée en tête... ouvrir 3 nouvelles longueurs à partir de L1, dans le 6c/7a, au plus dur... Ce sera sans moi :-)
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La photo qui nous a fait rêver... |
Remerciements :
A Oliv' pour nos crises de fou-rire et nos engueulades sur le capitalisme... Et oui, là-haut, tout est différent !!
A Anne pour son soutien le soir, ses gâteaux fait maison et sa patience face à mon incapacité à réagir le dimanche soir (é-pui-sé... :-)
A Colombe, ma femme, pour avoir pris cette photo, et m'avoir poussé à entreprendre ce projet en confiance. Cette voie lui est dédiée ;)
A Totor mon frère, qui a trouvé l'excellent jeu de mot "Christophe Colombe". Comme ça si vous trouvez ça nul, vous savez vers qui vous tourner... Bwaahaha ! :-)
A Delphine pour ses conseils et la petite formation au montage vidéo !